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Versailles · De quoi ça parle ?

par Sofia Betz


L’effondrement de l’ancien monde et l’absence de perspective. Le fossé immense et infranchissable entre les différentes classes sociales. L’incompréhension, et le manque de communication, de foi, de choix. Quoi de plus actuel... ?

Quand - et comment - déconstruirons-nous enfin les vieux récits d’ascension sociale ? Question que nous poserons dans un contexte des plus absurdes : Versailles, balloté entre l’ultra-capitalisme actuel et Louis XIV; entre des situations cocasses et des personnages excentriques, nous tenterons de parler une fois encore du besoin urgent de renouveau.


Ce n’est pas un scoop : le système en place, actuellement, ne fonctionne pas. La méritocratie, l’élitisme et l’impunité ne cessent de creuser un fossé qui nous empêche toute solidarité, toute conciliation, toute tentative de sauver ce qui peut encore l’être. Combien de manifestations, cette dernière décennie, ont été étouffées ? Ce n’est pas une question de retraite, d’éboueurs ou de genres. C’est tout à la fois et il est urgent que se rallient les causes, pour créer de nouvelles perspectives et sortir du clivage qui nous divise et nous affaiblit.

 

Dans notre « Versailles », on ne montrera ni château ni élite. On restera dehors. Sur le parking, au bord de la fête. Utilisant de la matière bourgeoise - l’opéra baroque - dans un univers bourgeois - Versailles - pour parler des coulisses, de la servitude, de la précarité qui s’installe et de la colère qui monte face à l’impunité. Imaginant une fable pleine d’humour et de cynisme, autour d’une fête qui réunit en une seule soirée tous les Grands Vilains de notre monde. Et s’ils n’en sortaient pas indemnes ? Et si la génération à venir cherchait autre chose que le pouvoir ? Pas de grands discours, pas de militantisme, mais plutôt l’observation du lent glissement dans des situations de plus en plus virulentes. Sur un ton léger et joyeux, et des discussions à mi-mot, nous suivrons le ballet d’une soirée où se croisent - ou plutôt se heurtent - des mondes que tout oppose.


 

Parler de climat, parler de luttes des classes

 

Le Château de Versailles a été construit sur des marécages. Image particulièrement parlante, que celle-ci : le faste - la richesse - s’établit sur un sol meuble, dangereusement instable et… puant. D’ailleurs, la puanteur augmente avec la chaleur.

 Dans notre histoire (où l’absurde se permet de jouer un rôle, certes, mais est-ce si absurde ?), il finit par faire tellement chaud que le Château de Versailles menace de s’effondrer, tant les sols marécageux se craquèlent. Il n’est donc plus un lieu de refuge ou de repli (pour les nantis), que du contraire.

 La gabegie des grandes fortunes et leur surconsommation outrancière, la complaisance politique à leur égard (Versailles reste un symbole prisé de pouvoir et de luxe à l’occidentale) ne figurent-elles pas parmi les causes principales de l’envolée du dérèglement climatique ? À notre époque, c’est presque un truisme que d’affirmer que lutte pour le climat et lutte des classes sont intrinsèquement liées. Ou pour être plus précise la lutte contre le 1% de la population qui est responsable de 50% des émissions et donc de la condamnation de notre planète.

Alors, qu’attend-t-on pour faire la révolution ? Dans notre histoire, les musiciens - outsiders, et middle class - sont probablement ceux qui pourraient lancer une révolution mais ils se révèlent incapables d’en endosser la responsabilité. Accablés par un sentiment d’impuissance face au monde et un manque d’habitude - on nous demande si peu souvent de gouverner ne fût-ce que nos vies -, ils préfèrent s’en remettre au hasard et au temps.


Pourquoi ne parviennent-ils pas en tout premier lieu à quitter cet endroit où ils sont humiliés dès la première seconde ? Pourquoi se courbent-ils devant des patrons d’entreprise ? Pourquoi sont-ils excités à l’idée de faire partie, le temps d’une soirée, d’un monde qui pourtant leur ferme ses portes tous les jours ? N’est-il pas temps d’arrêter de rêver de Lamborghini, d’aduler les stars du showbizz et de baver devant les soirées de gala bling bling ? Arrêter enfin de se considérer comme parasite (le livre éponyme de Nicolas Framont est passionnant, sur le sujet) et comprendre que l’économie peut fonctionner sans actionnaires et gros patrons.

 

En nous, autour de nous, il y a un immobilisme, un peu pris pour acquis. Tout le monde se laisse doucement aller à la catastrophe (comme le dit Bouli Lanners : « on a plus de facilité à intégrer l’idée de la fin du monde que la fin du capitalisme »). Depuis des dizaines d’années, on a la sensation que rien ne bouge. Au niveau politique et écologique, il n’y a que du vent. On erre, pour la plupart d’entre nous, sans oser penser au futur. Alors on s’occupe de nous, de petites choses, dans un individualisme de plus en plus normé. C’est peut-être ça, le plus urgent à questionner…



 

La place de la musique

 

Pourquoi choisir la musique baroque française ?

La musique baroque a souvent été associée au pouvoir et à l'autorité, en particulier pendant la période baroque en Europe (environ 1600 à 1750). À cette époque, la musique était considérée comme un moyen d'exprimer la grandeur et le prestige de l'État et de ses dirigeants. Dans les cours royales et princières, la musique baroque était souvent utilisée pour des célébrations officielles, des cérémonies religieuses, des fêtes de cour, des mariages royaux et d'autres événements prestigieux.

 

En France, Louis XIV, grand amateur de musique baroque, a utilisé la musique comme un moyen de renforcer son pouvoir et son autorité. Il a créé la musique de la cour française, qui était l'une des plus importantes d'Europe à l'époque, et a employé des compositeurs comme Marc-Antoine Charpentier et Jean-Baptiste Lully pour créer des œuvres qui reflétaient la grandeur et la magnificence de son règne. L’opéra baroque est caractérisé par des ornements complexes, des airs chantants, des récitatifs dramatiques et des scénographies somptueuses. Les opéras baroques étaient souvent basés sur des histoires mythologiques ou bibliques, et étaient interprétés par des chanteurs d'opéra professionnels.

 

Il nous semble donc plausible d’imaginer que les grands patrons d’aujourd’hui puissent demander des musiciens baroques pour animer une soirée. Comme le château de Versailles reste un symbole de pouvoir quasi divin, faire jouer de la musique baroque reflète un goût voire une connaissance de ce qu’est – était- la réelle aristocratie.

Mais pour le clin d’œil, les hôtes aimeront plus l’idée de faire jouer des musiciens baroques (quasiment authentiques), que la musique en elle-même. Préférant les derniers tubes ou, à la limite, la version krump des Indes Galantes, celle qu’on entend partout, avec la petite danse.

 

 

 

Quel répertoire sera interprété ?

 

Nous avons choisi des compositeurs du répertoire baroque français qui tous sont liés à Versailles. Utilisés les uns après les autres, par le pouvoir en place. D’abord, Marc-Antoine Charpentier, qui écrivit Les plaisirs de Versailles pour la première orgie organisée par Louis XIV. Outrageusement futile, elle dénonce clairement les excès des riches tandis que le reste du monde a faim. L’ouverture Te deum des Plaisirs pourra être jouée (ou plutôt massacrée) lors de l’arrivée des voitures. De nombreux extraits vantant des occupations stériles, sexuelles ou purement vides de sens, pourront contraster avec le dur labeur des bonnes et l’égarement des musiciens qui se demandent ce qu’ils font là. Nous jouerons également Triste désert et Médée.

 

Jean-Baptiste Lully, qui rivalisait avec Charpentier (et l’a remporté d’ailleurs) à la Cour, propose beaucoup de chœurs et de vivacité, qui seront très appropriés pour les moments très actifs des bonnes, par exemple. (Air et chœur des Trembleurs / Marche des Turcs / Monstres Affreux).

 

Et enfin Rameau, qui lui aussi passa par Versailles et offre un répertoire émotionnel intense. Nous remanierons probablement un peu les Indes Galantes (le couplet des Sauvages) et plusieurs autres de ses œuvres : Hyppolite, Quelle plaine en ces lieux m’appelle / Brillant soleil / Briller, Castor et Pollux / Vaste tempête)

 

Et enfin, Lambert (Vos mépris) et Capra (Requiem Dona Elis).


Nous glisserons également l’une ou l’autre chansons actuelles, mais jouées ici en version baroque : Titanic, de Céline Dion, demandé par un hôte, et qui dans son symbole « ça coule et nous ne sauverons que les riches », est une jolie métaphore de la situation actuelle.



La Compagnie Dérivation

 

La Compagnie Dérivation est une compagnie de théâtre qui crée des spectacles pour le tout-public. Dans un souci de partage des moments de théâtre entre différentes générations et dans l’envie de trouver les thèmes communs – ou les dénominateurs communs de ces thèmes - qui nous animent.

 

Depuis plus de 15 ans maintenant, nous cherchons un théâtre qui oscille en permanence entre narration directe et « scènes théâtrales ». Ce jeu de va-et-vient amène un décalage parfois absurde et souvent ludique ; une distance nécessaire sur les choses, et un humour cher à la Compagnie. Et surtout il place le public au centre du processus, considéré comme acteur à part entière – témoin gênant ou au contraire appui et soutien, le poussant donc à agir, réagir ou en tout cas se positionner, face aux situations.

 

L’humour, et le plaisir… Nous voulons proposer au public des spectacles qui lui « donnent la pêche », qui le font rire et le questionnent avec optimisme et espoir. Sortir de la culpabilité et du jugement, qui trop souvent nous paralysent.

 

Très vite, l’envie de mêler les médiums s’est faite ressentir. La part de création sonore a toujours été importante dans nos projets. Mais à l’heure d’aujourd’hui elle a trouvé une nouvelle place en glissant du côté de la musique lyrique. Versailles est le second spectacle qui s’appuiera sur la musique d’opéra jouée et chantée en live. Il ne s’agit pourtant pas d’opéra à proprement parler, puisqu’ici les chanteurs sont conscients qu’ils chantent - contrairement à l’opéra où ils s’expriment naturellement comme ça - et ils ne le feront que par moments, jouant le reste du temps. La musique est personnage à part entière, au même niveau que le sont les autres personnages de la pièce. C’est cette nouvelle tentative de mêler, au plus juste, ces deux mediums, qui nous enthousiasme et nous pousse à remettre ce dossier aujourd’hui.

 

La compagnie, ce sont avant tout six femmes aux manettes...

Sofia Betz à l’écriture et la mise en scène, Sarah de Battice à la scénographie et aux costumes, Floriane Palumbo à la production, Justine Gérard à la diffusion, Anne Vandeberg à l’administration, Hyuna Noben à l’assistanat.

 

... et cinq hommes à leurs côtés: Peter Flodrops à la direction technique, Lionel Vancauwenberge à la création sonore et à la dramaturgie, Raphaël Michiels à la construction des décors, Dominique Maertens et Adrien Souchet à la régie.

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